lundi 21 novembre 2016

L'emploi au défi de l'essor des voitures électriques (Le Monde 20/11/2016)

20 Novembre 2016

Les moteurs électriques sont moins gourmands 
en pièces et main-d'œuvre que les thermiques



Un choc en Allemagne, un frisson dans le monde entier. En annonçant, vendredi 18  novembre, la suppression de 30 000 emplois dont 23 000 outre-Rhin, Volkswagen (VW) – la " voiture du peuple " – a changé d'époque. L'entreprise a pris acte sur le plan social de son virage stratégique. Ce tournant majeur, pris sous la contrainte du scandale des moteurs truqués, a conduit la marque à se lancer avec toute sa puissance dans la voiture électrique.
Le géant allemand compte vendre plus de trente modèles de véhicules électriques d'ici à 2025. " Volkswagen va développer l'une des meilleures offres électriques et hybrides du marché ", constate Laurent Petizon, directeur du cabinet de conseil spécialisé en automobile AlixPartners.
Or le moteur électrique est un objet relativement simple. La propulsion électrique nécessite un sixième des pièces d'un moteur à explosion, sans compter l'absence de boîte de vitesses. Sa valeur dans le coût final d'un véhicule avoisine les 10  %. Soit quatre fois moins que pour une motorisation à essence ou diesel, qui nécessite un plus grand nombre d'ingénieurs, de techniciens et d'opérateurs pour son développement et sa fabrication.
De là à voir dans l'électromobilité un fossoyeur des emplois automobiles, il n'y a qu'un pas. " La voiture électrique nécessite moins d'intensité de main-d'œuvre, confirme un constructeur concurrent de VW. A la production, mais aussi à l'entretien et à la prévente. " Alors, qu'est-ce qui fait la valeur d'une voiture électrique si ce n'est pas le moteur ? Réponse : la batterie. Et, dommage, les éléments fondamentaux de cette batterie viennent presque exclusivement de Corée du Sud et du Japon, fournis par LG, Samsung ou Panasonic.

Vent de panique

Un défi pour l'économie allemande, ultradépendante de la branche automobile (785 000  salariés, 368 milliards d'euros de chiffre d'affaires chaque année). Les industriels voient venir avec horreur un déplacement majeur des compétences : une grosse partie de la valeur ajoutée que les ingénieurs motoristes ont accumulée ces dernières décennies pourrait s'effondrer. En Allemagne, les syndicats, les scientifiques et certains représentants de l'industrie comme Henning Kagermann, directeur de la Plateforme nationale pour l'électromobilité (NPE), insistent donc pour que le pays se dote de ses propres usines à batteries et n'abandonne pas cette partie de la chaîne de valeur.
Au final, la transition vers l'électrique concerne toute l'industrie automobile. Les constructeurs comme VW bien sûr. Mais peut-être plus encore les sous-traitants spécialisés dans les systèmes antipollution et dans la mécanique du moteur (refroidissement, turbos, circuit d'air, injection). Des groupes comme Continental, ZF Friedrichshafen, Schaeffler, ou encore Faurecia sont au premier rang. -Selon les évaluations, entre 100 000  et 250 000 emplois sont, en Allemagne, liés au moteur -thermique.
Ce serait donc un vent de panique électrique qui aurait incité VW à revoir la dimension de ses équipes de production. " C'est une bonne excuse mais ce n'est pas la bonne raison, ironise un expert du secteur. Faut-il rappeler que les ventes de voitures électriques pèsent actuellement seulement 1  % du marché ? "
Les projections les plus optimistes envisagent qu'une voiture sur cinq vendues en Europe en  2030 sera une pure électrique.
Les futurologues prédisent plutôt que le choix du consommateur se portera vers les véhicules hybrides (à 46  %) qui, par définition, ont deux moteurs, un électrique et un thermique. Le moteur à explosion de grand-papa n'est donc pas près de mourir.
Et si le cabinet AlixPartners prévoit, à l'échelle européenne, la fermeture de sept usines liées aux motorisations purement thermiques d'ici à 2025, il prédit aussi l'ouverture de treize sites consacrés d'une manière ou d'une autre aux moteurs hybrides.
" Nous assistons en ce moment, à notre niveau, à une croissance mondiale des volumes, y  compris sur les moteurs thermiques, assure Jean-Michel Juchet, directeur des affaires publiques de BMW France. De notre côté, nous augmentons plutôt nos effectifs. Nous devons faire face à des besoins grandissants, en particulier dans la recherche et le développement. "
La substitution n'est donc pas pour demain. " Elle finira par avoir lieu, ajoute M. Juchet. Si l'on se projette très loin, le mix de motorisation pourrait être de 50-50. Mais les ajustements se feront de manière très progressive. "
Si l'explication électrique n'est pas suffisante pour expliquer la purge VW, que reste-t-il ? Le poids financier prodigieux du scandale des moteurs truqués bien évidemment : 30  à  38  milliards d'euros de pertes au total.
Mais aussi, et surtout, un déficit chronique de rentabilité qui ne date pas du Dieselgate. " La compétitivité de VW n'est pas optimale, note Bertrand Rakoto, analyste au cabinet D3  Intelligence. Elle remonte au choix, effectué par l'entreprise dans les années 2000, d'augmenter les volumes pour devenir numéro un mondial, choix qui s'est fait au détriment de sa rentabilité. "
D'autres voient dans la décision de réduction des emplois en Allemagne le premier signe d'une stratégie à venir de délocalisation. " VW est en train de préparer la production low cost de voitures d'entrée de gamme dans un pays à bas coût,croit deviner un consultant spécialiste des stratégies industrielles. Son modèle, c'est Renault qui, avec sa petite Kwid à 3 500  euros, engrange les succès de manière remarquable. " Un nouveau choc à venir au pays de la " voiture du peuple ".
Éric Béziat, avec Cécile Boutelet (à Berlin)
© Le Monde

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