vendredi 9 septembre 2016

Florence Lambert, Directrice Générale du CEA Liten explique à Florence Lagarde, pour AutoActu.com, sa vision de l'avenir du véhicule électrique où les batteries seront complémentaires avec l'utilisation de l'hydrogène.


Directrice générale du CEA Liten, le laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nano-matériaux, Florence Lambert est une des chefs de projet mobilité écologique du programme Industrie du Futur et à ce titre elle pilote le plan sur le stockage de l'énergie de la Nouvelle France Industrielle. Elle nous explique sa vision de l'avenir du véhicule électrique où les batteries seront complémentaires avec l'utilisation de l'hydrogène.

Florence Lambert :Oui, je suis plutôt sur cette tendance. Je pense que l’on va voir un développement important de véhicules électriques avec batterie ou batterie plus hydrogène qui viendront sur les concepts de voitures autonomes. Dans ce cadre, je vois plutôt une accélération.De plus en plus de constructeur vont aller en rupture poussés par des aspects de règlementation forts avec des batteries beaucoup plus puissantes que ce que l’on connait.
Autoactu.com : Au vu du niveau  de ventes des véhicules électriques ces 10 dernières années, pensez-vous que le développement va s’accélérer dans les 10 prochaines comme le laissent penser les annonces des constructeurs et notamment VW qui prévoit entre 20% et 25% de ses ventes en 100% électrique en 2025 ?
Florence Lambert :La feuille de route des batteries continue de s’accélérer. En 2017/2018, l’autonomie aura été multipliée par 2 par rapport à ce qu’elle était au départ. Nous serons en usage réel à 250/300 km au lieu de 120 km.
Autoactu.com : Tesla va déjà au-delà depuis longtemps avec 500 km d’autonomie ?
Florence Lambert :
 Tesla est un vrai-faux exemple. Il utilise la technologie Panasonic avec des cellules plus denses et un gain de 30% à 40% d’énergie à masse égale. C’est techniquement faisable mais avec un coût batterie autour de 20 000 dollars. C’est plus compliqué pour une voiture populaire et c’est la raison pour laquelle pour aller sur ce segment, Tesla intègre en vertical les différents composants dans sa gigafactory pour les contrôler.
Autoactu.com : Quel est aujourd’hui le coût moyen d’une batterie standard ?
Florence Lambert :
 C’est compliqué à définir. Je dirais que le prix moyen actuel est autour de 200€/kWh donc quelques milliers d’euros pour une batterie de 20 à 30 kWh.
Autoactu.com : Comment se feront les gains ?
Florence Lambert :
 Les projets sont en train de s’accélérer à la fois dans la mobilité et dans le stationnaire où le marché est en train de décoller ce qui va permettre une baisse des coûts. Le Lithium est une technologie très évolutive. La force de cette technologie est que vous n’avez pas besoin de changer votre usine de production pour obtenir des gains de performance. Les gains résident dans la fabrication des matériaux que vous mettez sur l’électrode puisque c’est elle qui stocke l’électricité. Derrière le lithium ion, il y a une famille de solution et c’est pour cela qu’elle s’impose et est aussi utilisé pour le stationnaire.
Autoactu.com : Ces améliorations vont-elle permettre au véhicule électrique de s’imposer au détriment de l’hydrogène ?
Florence Lambert :
 Je n’oppose pas les deux, batterie et hydrogène, qui seront des solutions complémentaires. La batterie continue de bien creuser son sillon et ce n’est pas forcément au détriment de l’hydrogène. Le bémol de la batterie, où il n’y a pas de progrès possible, c’est la vitesse de recharge. Même si vous avez 350 km d’autonomie, dans certains usages 2h de recharge cela reste rédhibitoire. Il y a une complémentarité avec l’hydrogène dont le réservoir se remplit comme celui d’un véhicule thermique. En France, nous déployons les premières flottes captives de véhicules à hydrogène avec des entreprises pour lesquels il ne peut pas y avoir 2 heures d’attente.
Autoactu.com : Tesla a résolu de problème de temps de recharge avec ses super chargeurs. Est-ce que cela n’est pas la solution ?
Florence Lambert :
 La recharge rapide réduit la durée de vie des batteries très rapidement ce qui  change notablement l’équation économique.
En plus, dans certaines régions, notamment dans les pays émergents, où il n’y a pas de puissance de recharge localement, il sera nécessaire de combiner électricité et hydrogène.
Autoactu.com : Que pensez-vous de l’accélération des projets de développement de véhicules électriques de la part des constructeurs allemands ?
Florence Lambert :
 Les constructeurs allemands ont été stressés par Tesla qui les disruptent sur le segment haut de gamme et sportif de plus de 150 000 euros avec un véhicule à 100 000 euros et qui bénéficie de l’image de la Californie et de la mobilité verte issue de l’antre de la modernité. Depuis 1 an, ils ont des ambitions très fortes sur l’électrique et viennent chercher des subventions européennes. La France reste vigilante et s’impose par la fabrication de batterie lithium ion. Nous avons le savoir-faire avec Saft et Bolloré.
Dans le cadre d’un projet d’usine européenne de batterie, la nation qui fait sens est la France. Nous aurons des discussions à la rentrée dans le cadre du plan stockage.
Autoactu.com : Vous pensez que l’on pourrait avoir une usine de batterie européenne ?
Florence Lambert :
 Pourquoi pas ? Cela fait sens et encore plus avec le rachat de Saft par Total. L’Europe est en mesure de financer ce projet. Les Allemands rêveraient de l’avoir sur leur sol. La France est légitime pour l’avoir et c’est mon combat quotidien.
Autoactu.com : Avec le rachat de SolarCity, fabricant à domicile d’énergie solaire, Tesla est-il encore précurseur ?
Florence Lambert :
 Il va y avoir une vraie révolution dans l’énergie et tous les sujets se rejoignent. Ma vision personnelle est que les réseaux entre production et stockage seront multi énergie
La consommation pourra être prise en compte dans le cadre de forfaits. Les consommateurs voudront un système homogène entre leur voiture, leur smartphone et leur maison.
Avec les énergies renouvelables, les deux applications "mobilité et stationnaire" sont en train de se confondre. Musk avait déjà compris cela il y a 10 ans en devenant un acteur géant de l’énergie.
Autoactu.com : Pensez-vous que nous sommes à une période charnière et que tout peut basculer rapidement ?
Florence Lambert :
 Il y aura d’ici 10 ans une grande révolution dans la distribution de l’énergie entre la mobilité et le stationnaire. L’hydrogène est intéressant dans toute la chaine : sous son volet passerelle énergétique puisque vous pouvez soit le consommer, soit le combiner en méthane et sous son volet stockage des énergies renouvelable qui ont des échelles de temps différentes que celles des batteries.
Autoactu.com : Compte tenu de l’intérêt de l’hydrogène comment se fait-il qu’il ne soit pas aidé par les pouvoirs publics ?
Florence Lambert :
 C’est un problème culturel français et nous avons du mal à faire de la complémentarité dans l’énergie.
La France a longtemps été enfermée sur le Diesel. Renault est parti seul sur l’électrique et a depuis été rejoint. Il y a avec l’hydrogène une troisième voie en complémentarité.  Je pense que notre manière d’appréhender ce sujet a été meilleure que celle des Allemands qui ont voulu développer l’hydrogène à marche forcée alors que les clients ne sont pas prêts à dépenser 80 000 euros pour un véhicule hydrogène. En France nous en avons tenu compte et positionné l’hydrogène en complémentarité sur des flottes d’entreprises.
Je suis montée au créneau dans le cadre du plan stockage de l’énergie de la Nouvelle France Industrielle et nous avons lancé début mai un appel à projets de production et utilisation locales d’hydrogène auprès des territoires. Nous avons eu un vrai succès avec une quarantaine de projets déposés. Nous aurons les résultats fin septembre/début octobre. Cela fait 2 ans que nous travaillons sur cette question.
Autoactu.com : Dans quel calendrier va se jouer le développement de l’hydrogène ?
Florence Lambert :
 C’est maintenant que les industriels doivent se préparer. Sinon dans 5 ans nous achèterons japonais ou coréen.
Autoactu.com : Pourtant l’hydrogène, ce n’est toujours pas un sujet porté par les politiques en France ?
Florence Lambert :
 Les mentalités sont en train d’évoluer avec une bonne résonnance auprès des énergéticiens. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation de mono énergie très centralisée, demain l’énergie sera multi vecteur et décentralisée, nous aurons une production et un stockage local avec des batteries dans les maisons.

Propos recueillis par Florence Lagarde pour AutoActu.com
NDLR : Cet interview réactualise nos questionnements de l'arcticle d'avril 2014: 

Hydrogénés les français ? Par quoi donc ? 

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